Oded Gilad Directeur, One World Section israélienne du World Federalist Movement Traduit de l’anglais par Emilia Billion – Paris
Publié dans: Revue trimestrielle de débat et de culture fédéraliste, Septembre 2016 N° 173, p.p 32-33
J’ai pensé que vous seriez intéressés par la récente publication en hébreu d’un livre appelé Utopia from Casablanca – the writings of Makhluf Avitan. Avitan, juif marocain, a publié plusieurs articles à Casablanca entre 1945 et 1947 mettant en exergue sa vision d’un gouvernement mondial pour l’humanité. Ce nouveau livre, dont le rouge de la couverture rappelle un certain manifeste, rassemble les écrits d’Avitan sur le sujet, quelques brefs articles le concernant publiés dans la presse au début des années 1950, ainsi qu’un formidable essai contemporain écrit par le chercheur qui a « redécouvert » Avitan, le jeune universitaire David Guedj. Dans les grandes lignes la vision d’Avitan est relativement proche des autres projets que nous connaissons déjà, incluant la création d’un gouvernement mondial représentatif possédant le monopole de la violence légitime, une monnaie unique (estampillée de la devise sacrée « nous sommes tous frères »), un système général de redistribution des impôts afin de financer l’éducation, des infrastructures et un système de santé pour le bien-être de tous, un registre mondial des citoyens, un langage international et un « drapeau de l’humanité » (bleu clair, comme le paradis céleste). Dans son essai, Guedj met en évidence les similitudes entre la vision d’Avitan et les principes approuvés en 1947 (à Montreux) lors du Congrès du Mouvement universel pour une confédération mondiale (Aujourd’hui le WFM).
David Guedj est doctorant dans le département des études juives de l’Université de Tel Aviv. Ses recherches se concentrent sur l’histoire et la pensée des juifs nordafricains, dont les communautés ont principalement émigré en Israël peu après la guerre entre les juifs et les arabes de 1948 et la création de l’Etat d’Israël. Pour cette nouvelle grande vague d’immigrés, l’intégration à ce nouvel Etat ne se fit pas sans heurt, celle-ci fut éprouvante à bien des égards. Les leaders politiques israéliens, pour la plupart juifs européens d’origine ashkénaze, se caractérisaient par un mélange d’élitisme culturel, de défiance et de mépris envers la culture arabe. Lorsque Avitan et sa communauté arrivèrent en 1954 ils furent envoyés dans le sud désertique d’Israël comme fermiers dans de nouvelles colonies, loin des épicentres culturels comme Tel-Aviv et Jérusalem où leur travail et leur talent auraient été autrement valorisé et apprécié.
Les descendants de ces juifs venant de terres arabes, tout comme Guedj, déplorent la discrimination et l’oppression culturelle qu’ont subi leurs parents et grands-parents, et beaucoup d’entre eux étudient le riche héritage culturel de leurs ancêtres. Les articles d’Avitan sont écrits dans un bel hébreu médiéval, très proche du langage du penseur religieux juif le plus influent de tous les temps, Maimonide. Tout comme Maimonide, alors qu’Avitan était profondément religieux, son approche philosophique était basée sur le raisonnement, l’analyse logique ainsi qu’une grande dose d’universalisme et d’humanisme pour appréhender la réalité. Selon Avitan, la clé du bonheur, notre quête ultime, réside dans la capacité singulièrement humaine à étudier, à comprendre et à s’émerveiller de la création de Dieu. Cependant, la réalisation de ce potentiel repose sur des conditions matérielles ainsi qu’une protection sociale suffisantes, qui ne pourront se concrétiser que dans le cadre d’une union politique universelle.
Pour nous, jeunes fédéralistes en Israël, la révélation de l’existence de textes anciens en hébreu à propos d’un gouvernement mondial et de sa ré-émergence est très excitante.
Nous avons été surpris que Guedj évoque d’autres penseurs antérieurs, comme l’influent Rabbin Moshe HaCohen de Djerba en Tunisie, qui a publié son propre projet pour un gouvernement mondial supranational en 1919, juste après la première guerre mondiale.
Au lancement de son livre à l’Université de Tel Aviv, j’ai chaleureusement félicité Guedj ainsi que son éditeur (Ra’av Press) au nom de One world et du World Federalist Movement, et mentionné que ses recherches tout comme les publications telles que The peacemakers du professeur indien Manu Bhagavan -sur les politiques fédéralistes et mondialistes de Gandhi et de Nehru lors de la lutte pour l’indépendance indienne et dans les premières années de l’Inde indépendante – ndlr), sont importantes et nous aident à mieux comprendre la pensée fédéraliste mondiale dans les pays en voie de développement. Nous espérons sincèrement que ces recherches nous aiderons à promouvoir les idées fédéralistes mondiales en Israël et audelà.